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Le « vol » d’image autorisé
La fin du "droit à l'image" / Le « vol » d’image autorisé / Le droit de photographier

Tribune dans Reflex(e) Numérique numéro 15 - août 2004  
© Joachim Schmid "Photogenetic drafts #32" PhotoEspaña 2004 

La situation était devenue explosive : les photographes étaient écartelés entre leur désir de prendre des images et l’autocensure de les publier. On leur disait: ne photographiez pas les visages des gens, ni les people, ni les maisons, les barques, les volcans ou les citronniers. J’ai dénoncé plusieurs fois, l’appropriation de l’espace public, le viol du droit à l’information, l’impossibilité de création et au final l’atteinte à la culture, au patrimoine et à la mémoire de l’humanité. Pour faire comprendre l’absurde, j’ai carrément comparé à des « talibans culturels » les avocats ou même les députés qui faisaient l’apologie du « droit à l’image ». Ne parlons même pas du « conseil » qu’ils nous prodiguaient de faire signer des autorisations à tous crins. Vous pensez sérieusement qu’Henri Cartier-Bresson, l’auteur du livre « Images a la Sauvette », a demandé des autorisations dans ses ballades en Chine, dans les bordels en France ou aux lesbiennes de Mexico ? Bien sûr que non, parce c’est simplement impossible. La création photographique passe au contraire très souvent par le vol des images.  
La libération de l’image 

En mai 2004, le tribunal débarque enfin pour libérer la photographie. Premier acte, la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière limite le droit des propriétaires sur l’image de leur bien dans un journal, sur une publicité ou une carte postale.La haute juridiction affirme que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci » ; il ne peut s’opposer à l’utilisation de l’image de son bien que lorsque l’image lui cause « un trouble anormal ». La reproduction de photographies de biens dans la presse, la publicité ou l’édition est donc à nouveau libre. Ce que l’on voit, on peut le photographier. Une seconde vague achève de libérer les photographes le 2 juin, au tribunal de grande instance de Paris. Le photographe, Luc Delahaye de Magnum, était accusé d’avoir utilisé sans autorisation l’image d’une personne dans un livre « L’Autre » (Éd.Phaïdon 1999) cosigné avec le sociologue Jean Baudrillard. Cette personne dénonçait un « préjudice caractérisé », se plaignant de « l’exploitation mercantile de ses traits à laquelle il n’a jamais entendu se prêter». Le livre représentait des visages anonymes photographiés dans le métro parisien, bien entendu, sans leur autorisation. Luc indiquait d’ailleurs sur la première page de l’ouvrage avoir « volé » ces images. Depuis quelques années on enverrait un tel voleur d’images à l’échafaud, mais, surprise, le tribunal défend, au contraire le photographe, déboute le personnage du métro et reconnaît enfin le droit de photographier. 
Liberté d’expression 

Le tribunal indique que le droit d’une personne sur son image « n’est pas absolu et cède, notamment, devant le droit à l’information, droit fondamental protégé par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’homme, qui autorise la publication d’images de personnes impliquées dans un événement, sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine ». Le droit à l’image ne peut pas « faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s’exprime spécialement dans le travail d’un artiste ». Il reconnaît que « le but recherché n’aurait pu être atteint si le photographe avait agi à découvert » et que « s’il a « volé » ces images, ce n’est pas spécialement dans un but commercial », mais « dans la perspective de fournir un témoignage sociologique et artistique particulier sur le comportement humain ». Maintenant que justice nous a été rendue, ne soyez plus frileux, et assumons ce « vol » des images. Photographiez et publiez sans crainte ! Didier de Faÿs  
photographie.com : 2004-08-22
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